Grima, rentes, … ou simples faits divers ?

Il y a une semaine ou dix jours, j’étais en déplacement professionnel à Tanger. Etant arrivé une heure avant mon RDV, j’ai profité de ce moment pour prendre un pot dans un café au milieu du quartier administratif de la ville. Attablé avec un camarade du parti, je contemplais les constructions anciennes de Tanger, visionnais mes souvenirs et remarquant, non sans profonde déception, la « bédouinisation » de la ville : Constructions moches, fermetures de salles d’expositions et de cultures, « hijabisation » à l’afghane, … et surtout le changement monumental des valeurs : l’argent est maître absolu de la ville. Mon compagnon partageait parfaitement mon diagnostic et me soufflait l’incapacité de la « gauche de la ville » à proposer des issues, comme si elle aurait pu le faire ailleurs 🙂

Soudainement ( 3ataja pour les initiés ), un jeune homme, la quarantaine, se penche sur notre table et nous demande de lui remplir un formulaire. Il ne sait pas écrire le français. Au moment de lui rendre le service, on comprendra que le gaillard est un peu gêné, impatient, mais heureux. A son départ, mon camarade m’apprend qu’ils sont plus d’une quarantaine, de Tanger, Tetouan, Larache, Chaouen, à squatter les administrations pour constituer des dossiers de « grima » ( Autorisation de transport ). D’après lui, ils étaient en attente la venue du roi dans leurs villes et cherchaient ses visites non officielles. Une fois le roi arrêté dans un feu ou un stop, ils se penchent vers lui et lui remettent une copie de leur CIN ( qu’ils ont déjà préparé ) et attestent de leur pauvreté ( comment ? ). Une semaine environ après chaque incident, la wilaya les convoque pour qu’ils constituent leur dossier et recevoir le fameux sésame « grima ». Cela devient une profession pour certains. On ne finit jamais avec les rentes !

Laroui disait dans une récente déclaration : « J’ai toujours exprimé le souhait de voir le pays se diriger, lentement mais sûrement, vers un régime de monarchie véritablement constitutionnelle et parlementaire, où le roi règne, guide, conseille, influe, mais ne s’implique pas dans la direction des affaires courantes, même pas par le biais de l’action caritative, car celle-ci laisse croire qu’il dispose d’un trésor inépuisable. Tout cela pour sauvegarder son autorité morale. Il doit avoir tous les moyens pour être et rester le roi du Maroc et des Marocains. Mais ceci est mon souhait ; il ne compte pour rien ». Mon souhait également ne compte pour rien. Remarquez comment on pourra demander une grime ici.

Par ailleurs, découvrant « mon talent » de traducteur – interprète non reconnu ( donc évitez les remarques de formes J ), je vous traduit l’introduction du nouveau livre, paru en Mars 2010, des éditions « wijhat nadar », point de vue, intitulé « Etat du Maroc 2009-2010 : Action royale – gouvernement – parlement – partis politique – islamistes – droits humains – économie – situation sociale – culture – sport – diplomatie marocaine ». Cette introduction vous donnera une idée du bilan tracé par le livre, que des académiques ont élaboré.

حالة المغرب 2009- ‏2010‏‏‏

قد اعذر من انذر

Etat du Maroc 2009-2010

Un homme averti en vaut deux !

Six ans durant, l’équipe de chercheurs dans la revue « point de vue – وجهة نطر » continue la mission d’observation et de suivi des états du Maroc, avec des initiatives personnelles et des moyens rudimentaires, mais armés pour ce faire par un public de lecteurs qui soutient ce travail et les échos qu’il a laissé chez les institutions de recherche internationales intéressées par le suivi de la situation du Maroc.

L’effort est considérable tant que l’archive nationale est dispersée ou inexistante. Quand plusieurs données et faits s’absentent, il devient difficile de dessiner l’image du Maroc dans les espaces divers et étendus où l’équipe de travail a choisi d’y plonger. Ainsi, ce rapport ne se dit-il pas réaliser un diagnostic global et précis de l’état marocain, mais, dans le cadre du possible et à la lumière des contraintes précédemment citées, il essaie de toucher cet état à partir de ce dont ils disposent comme chiffres, données et faits capables de mettre à disposition du lecteur et du chercheur une image approximative de l’état du Maroc.

Cet état, comme l’atteste les divers rapports de cet ouvrage, a connu en 2009-2010 une grande dégradation, avec la quelle on peut affirmer que le Maroc et les marocains sont arrivés dans leur futilité politique au degré zéro. Comme les années passées, le roi du Maroc est le seul maître de l’action politique, que personne ne peut toucher. L’action du gouvernement est resté terne, où le premier ministre, en l’absence de législation organisationnelle, se cherche sa place. Le parlement marocain, pour sa part, demeure incapable à prendre l’initiative, et souffre toujours des mêmes maux inguérissables : transhumance, absentéisme. L’action partisane est également indolente sous l’effet du nouveau venu ayant pour objectif la destruction du système partisan nationale, dont la stratégie commence à donner ses fruits. L’action des islamistes est toujours dépendante des problématiques de l’identité, alors que l’espace des droits humains a connu une dégradation effrayante. En effet, les procès se suivent continuellement et les garanties du procès équitable sont absentes. La liberté d’expression a été bafouée au summum cette année, chose que le maquillage du conseil consultatif des droits humains ne saurait dissimuler. L’état social montre des indicateurs forts sur une chute que les projets de développement humain n’ont su amortir. Alors que la culture est restée, à l’instar de l’année passée, victime du mirage de l’universalité, le sport marocain a connu incontestablement sa pire année.

Cet état en fin d’analyse tire la sonnette d’alarme. Un homme averti en vaut deux !

12 Réponses

  1. […] This post was mentioned on Twitter by Maroc Blogs, mounirbensalah. mounirbensalah said: Nouveau post : Grima, rentes,… ou simples faits divers ? http://bit.ly/9nLn8Q […]

  2. Remarque : « Grima » vient du mot français « agrément ». Au cas où quelqu’un ne le saurait pas…

  3. Dans un pays où, de l’aveu même de militants à priori sincères comme tu sembles l’être, les partis ont renoncé à servir de relais entre le peuple et le pouvoir, il est tout à fait normal que le peuple s’adresse à l’autorité suprême!

  4. Ben quoi? C’est normal dans un système féodal, non?

  5. un blogeur a passe deux nuit au trou pour avoir un peu trop developper ton idee cher mounir …

  6. @Politiconaute: « un blogeur a passe deux nuit au trou pour avoir un peu trop developper ton idee cher mounir … »

    Si tu parles de Mohamed Erraji, il a passé bien plus que deux nuits en prison.

    Et arrête de terroriser Mounir s’il te plaît. Il connaît la loi et sait ce dont le Makhzen est capable. Pas la peine d’en rajouter…

  7. Tanger ressemble au monde entier, pas la peine d’en faire un fromage typiquement marocain.
    Pour ce qui est des « grimate », on peut évidemment allonger indéfiniment la sauce des récriminations à ce sujet. Mais en tant qu’état providence, le Makhzen se doit de ne décevoir personne. Donc, dénoncer les agréments relève de la pure démagogie…
    A part ça, pourquoi se focaliser sur les maux ? Pour la beauté du degré zéro de l’homophonie ? J’aurais préféré : démo… à dire !

  8. L’économie de rente, un sport national. جالس و كاي تخلص le REVE…
    Je vais être un peu hors sujet (pas bp), je retiens le mot « bédouinisation » qui s’applique à tout le pays et pas seulement à Tanger. عوض أن يتم تمدين القرى تم ترييف المدن…
    Jusqu’à quand nous continuerons ce délire ? Je me le demande

  9. @Une marocaine: « L’économie de rente, un sport national. جالس و كاي تخلص le REVE… »

    C’est global. Pas qu’au Maroc. L’objectif de la majorité des habitants du monde est de faire travailler leur argent pour eux. La rente est l’une des plus hautes aspirations de notre temps. C’est triste, mais c’est ainsi.

    En ce qui concerne les grima, c’est évidemment une pratique féodale. Il n’y aucune justification possible a ce que une personne non-élue distribue la richesse publique. C’est sorti tout droit de chez Machiavel.

  10. […] Immigrer vers des terres où l’ascension sociale est possible. – Obtenir un agrément lors d’un passage du souverain à proximité de leur rue, de leur quartier ou de leur ville. – Se lancer dans la criminalité, en col bleu ou en col blanc […]

  11. […] à une grande préoccupation, en parallèle avec un copinage effréné et l’aggravation de l’économie de rente. Le paysage politique marocain parait abject du fait d’un consensus stérile empêchant la […]

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